HISTOIRE

L’histoire des Alaouites : Un long fleuve pas si tranquille

Descendants du Prophète, les Alaouites sont montés sur le trône grâce à leur ascendant religieux. Les règnes des différents sultans de la dynastie sont faits de grandeur, de décadence et sont ponctués de beaucoup de guerres fratricides.

Alors que le règne des Mérinides sur le Maroc débute à peine, au XIIIe siècle, les habitants du Tafilalet sont en souffrance. La sécheresse frappe leur pays et les palmiers dattiers ne produisent plus de baies. Pour expliquer leur malheur, les habitants de Sijilmassa affirment que leur ville ne compte plus de chérif. D’autant que la descendance des premiers souverains du Maroc, les Idrissides, eux-mêmes descendants du Prophète, se fait plus rare depuis la chute de cette dynastie. C’est donc à la source que les habitants de la ville décident de trouver un nouveau guide spirituel en envoyant, à l’occasion d’un pèlerinage à La Mecque, une caravane au Hedjaz.

Questions pour un champion

Une fois arrivée au Hedjaz, la caravane se rend aux environs de Yanboue, une place commerciale située sur les bords de la Mer Rouge. Ils y retrouvent Qasim Ibn Mohammed, un chérif, qui est le 20e descendant du Prophète à travers sa fille Fatima. Une ascendance qui signifie que Qasim et ses fils sont aussi les descendants d’Ali, figure vénérée par le courant chiite. Qasim est également considéré comme “le plus dévot des chérifs”, selon certains habitants du Hedjaz. Ce qui pousse les habitants de Sijilmassa à lui demander si l’un de ses fils pouvait les accompagner au Maghrib, en vue de devenir leur prochain imam.

La requête est acceptée par Qasim, qui interroge successivement ses huit enfants mâles en leur demandant : “Comment vous conduiriez-vous à l’égard de quelqu’un qui vous aurait fait du bien?”. Une question à laquelle ses enfants répondent qu’ils lui feraient du bien. Ces derniers doivent ensuite répondre à une autre question de leur père : “Comment vous conduiriez-vous envers celui qui vous aurait fait du mal?”.  Tous les enfants du chérif répondent qu’ils rendraient le mal par le mal. À l’exception de Hassan, qui répond à cette question en déclarant : “Je lui ferai du bien”, avant de voir son père répliquer : “Et s’il continue à te faire du mal?”. “Je lui ferai encore du bien, et je persévérerai jusqu’à ce que mes bontés viennent à bout de sa méchanceté”, répond Hassan. Ce qui lui vaut d’être désigné par son père pour accompagner la caravane à Sijilmassa. On ne sait pas si Hassan, qui sera surnommé Addakhil, a été capable de mettre fin à la sécheresse qui frappait le Tafilalet. À sa mort, les habitants de Sijilmassa se seraient disputés, au point d’en venir aux mains, au sujet de l’endroit où sera enterré sa dépouille. Pour trouver l’endroit de sa sépulture, les Sijilmassiens auraient partagé, à l’aide de cordes, la ville en quatre parties égales, et sa tombe aurait été placée au point d’intersection des deux cordes, de telle sorte qu’elle ne soit pas plus proche d’un côté que de l’autre. Tout ceci relève quasiment de la légende, difficile donc à prouver avec des documents historiques. Mais c’est là que débute l’histoire des Alaouites au Maroc, qui se distingueront quelques générations plus tard.

La prise de pouvoir

Au début du XVIIe siècle, le Maroc est morcelé en plusieurs petits États indépendants. La dynastie régnante des Saadiens est en déclin et le royaume n’a plus d’autorité centrale. Au Tafilalet, dans le sud-est, les descendants de Hassan Addakhil, les Alaouites, se distinguent en défaisant deux puissantes confréries : la zaouïa d’Illigh, qui contrôle le Souss et le Drâa, et celle de Dila, qui tient le nord et est sur le point de s’emparer de Fès. Moulay Ali Chérif, 7e descendant de Hassan Addakhil, est promu chef de la famille et devient le nouvel homme fort du Tafilalet. Ce dernier est décrit par les hagiographes comme un “lion magnanime, le pôle de tous les chevaliers de l’islam, le brave audacieux, le lion hardi, le grave, le pieux, l’éclaireur de la milice des guerriers de la foi, le glorieux des glorieux”.

Malgré ces qualificatifs élogieux, Moulay Ali Cherif n’arrive pas à étendre son pouvoir aux autres provinces du Maroc et abdique en faveur de son fils, Moulay Mohammed. Ce dernier, que les historiens dotent d’une puissance physique hors du commun, multiplie les guerres contre les tribus voisines. L’une d’entre elles, la zaouïa d’Illigh, prend en otage son père, Moulay Ali Chérif. Il sera finalement libéré en 1640 par son fils, qui sera proclamé sultan du Tafilalet et régnera sous le nom de Mohammed 1er.

 

La razzia, seul objectif politique

Le nouveau sultan prend le contrôle du nord-est du Maroc en s’emparant d’Oujda, avant de tenter des incursions à la frontière occidentale de l’Empire ottoman, dans la région de Tlemcen. Selon Henri Terrasse, auteur d’Histoire du Maroc des origines au Protectorat, Mohammed 1er guerroie à tout-va, mais ne bâtit rien sur ses victoires : “Moulay Mohammed n’apparaît pas comme un fondateur de royaume. Ce demi-saharien ne concevait guère que la razzia et, soucieux avant tout des profits immédiats, il ne semble avoir rien fait pour organiser ses conquêtes momentanées”.

Audacieux, Mohammed 1er décide, quelque temps après, de partir à l’assaut de Fès, mais finira par être défait par Mohamed El Haj, de la zaouïa de Dila, autoproclamé sultan de Fès. Une défaite de trop qui pousse le demi-frère de Moulay Mohammed, Moulay Rachid, à se rebeller contre son autorité et à le battre lors d’une bataille dans la plaine d’Angad. Moulay Mohammed meurt après ce combat fratricide et Moulay Rachid récupère le pouvoir.

Le nouveau sultan, au faîte de sa puissance et face à l’affaiblissement des tribus et confréries rivales, se lance à la conquête du Maroc. À partir de Sijilmassa, Moulay Rachid part à l’assaut du Rif pour s’assurer le contrôle des routes commerciales. Il s’empare ensuite de Fès et de Taza, scellant ainsi son contrôle des routes menant de l’Atlas au Sahara. Après s’être emparé de Tétouan et de Salé, Moulay Rachid prend le contrôle de Marrakech, s’assurant ainsi la mainmise sur l’ensemble du territoire marocain. En 1672, alors qu’il effectue une promenade à cheval, Moulay Rachid percute une branche d’oranger et meurt. Il n’a pas de descendance, son frère Moulay Ismaïl hérite du pouvoir.

Moulay Ismaïl, le créateur du Makhzen

Contemporain de Louis XIV, il est souvent comparé au Roi-Soleil français. Il a régné plus d’un demi-siècle, réalisant de grandes choses et des choses moins avouables. Selon le principe du pouvoir absolu.  

Ses qualités

Un sultan bâtisseur. Il fait de Meknès, alors petite bourgade voisine de Fès l’impériale, une capitale à part entière. Il dote la ville d’un immense palais, d’écuries accueillant jusqu’à 12 000 chevaux, d’un grand bassin (celui de l’Agdal) ainsi que de plusieurs portes monumentales.

Un diplomate actif. Coincé entre l’Empire ottoman à l’est et les puissances occidentales au nord, Moulay Ismaïl use de toutes ses qualités de diplomate pour préserver la puissance de son empire. Il noue une alliance avec l’Angleterre pour contrer les Espagnols et s’allie aux Français pour freiner les ardeurs ottomanes.

Un stratège militaire. Il professionnalise ses troupes en faisant d’elles une armée de métier. Il y incorpore deux corps d’élite, à savoir les Abid Al Boukhari (esclaves noirs) et les Guich des Oudayas (armée composée de plusieurs tribus). Sur le plan défensif, il construit 76 kasbahs et postes militaires.

Ses défauts

Un despote cruel. Connu pour “collectionner” les captifs, dont il a fait un business lucratif, Moulay Ismaïl se permettait également d’en tuer quelques-uns. On rapporte que les captifs tués de la main du sultan étaient marqués d’une petite croix. Leur nombre serait de 127, tués entre 1684 et 1727.

Un monarque trop fécond. Si Moulay Ismaïl est entré dans l’histoire comme le détenteur du record du nombre d’enfants (1042 selon le Guinness Book), cela lui a valu une fin de règne mouvementée. À sa mort, le pays plonge dans l’anarchie et 7 de ses fils se succèdent sur le trône en l’espace de trente ans.

Un roi cupide. Outre ses très lucratives ventes de captifs chrétiens, Moulay Ismaïl s’attelle tout au long de son règne à amasser or et biens matériels. À peine monté sur le trône, il s’empare des trésors de Fès, tout en se lançant dans l’agriculture et le commerce afin d’augmenter sa fortune.

Fils de Moulay Ali Chérif, Moulay Ismaïl doit batailler dur contre plusieurs de ses frères pour asseoir son pouvoir sur le trône du Maroc. Une guerre civile fratricide qui s’achève par une victoire définitive en 1672. Empereur bâtisseur, monarque conquérant, roi diplomate, Moulay Ismaïl est sans doute le sultan le plus important de la dynastie alaouite. Il restera au pouvoir plus de 55 ans, soit le règne le plus long de l’histoire du Maroc. En un demi-siècle, il a posé les bases d’un État centralisé, vite appelé “Makhzen”

Le prestige de Moulay Ismaïl cache cependant plusieurs zones d’ombre que l’historiographie officielle rechigne à évoquer. Celle-ci le présente comme un roi défendant la veuve et l’orphelin et assurant la sécurité de ses sujets, pouvoir régalien s’il en est, alors que les routes restent dangereuses et les révoltes nombreuses. Autre point éludé par la version officielle, sa grande cupidité. Il a toujours été attiré par l’argent et les richesses matérielles, et ce bien avant son accession au trône. Nommé gouverneur de Meknès par son frère, le sultan Moulay Rachid, Moulay Ismaïl “se livre à l’agriculture et au commerce, afin d’augmenter ses richesses, car la soif de l’or fut une de ses passions favorites. Dès qu’il eut appris la mort de Moulay Rachid, en 1672, il s’empara de Fez, où étaient les trésors, et y fut proclamé souverain”, raconte à ce sujet Louis-Gabriel Michaud, écrivain et libraire français (1773-1858).

Si Moulay Ismaïl choisit Meknès pour capitale, ce n’est pas seulement pour son climat qu’il affectionne tout particulièrement, mais surtout pour en faire “la Bourse” du commerce des esclaves. “C’est Moulay Ismaïl qui décide, pour des raisons politiques et surtout économiques, de regrouper à Meknès, la nouvelle capitale, tous les captifs pris en mer ou sur les côtes européennes”, écrit Ahmed Farouk, chercheur rattaché à l’Institut méditerranéen à Paris. C’est que Moulay Ismaïl contrôle l’ensemble du circuit du “business” des captifs, en commençant par une flotte de corsaires basée à Salé, qui fut cinquante ans auparavant la “république des corsaires”.

Et c’est cette flotte qui l’approvisionne en esclaves chrétiens. La vente de captifs détenus dans les geôles du sultan constitue une ressource non négligeable pour le Makhzen. De nombreuses ambassades et missions religieuses européennes sont envoyées à Meknès pour négocier leur rachat. Parmi elles, les Pères de la rédemption, un ordre religieux catholique chargé de racheter les esclaves chrétiens, effectuent plusieurs voyages au Maroc et “doivent négocier avec le sultan, et uniquement avec lui”, précise Ahmed Farouk. Moulay Ismaïl est présenté par plusieurs historiens, contrairement à la doxa officielle, comme un souverain ayant des penchants sadiques. Il aurait tué 127 détenus de ses propres mains, selon l’historien Henri Terrasse.

L’ouverture sur le monde

Après le règne de Moulay Ismaïl (1672-1727), la couronne alaouite connaît une crise de succession qui dure près de 30 ans. Crise à l’issue de laquelle Moulay Abdellah est couronné et règnera durant une douzaine d’années. À sa mort, en 1757, c’est son fils et vice-roi, Sidi Mohammed, connu sous le nom de Mohammed III, qui lui succède avec l’idée d’ouvrir le Maroc sur le monde.

Pour ce faire, en 1757 et avec l’aide du négociateur marseillais Rey, Mohammed III confie au Danemark le monopole du commerce à Safi et Agadir. Le pays scandinave n’est pas le seul à bénéficier de cette ouverture à l’international puisque le royaume chérifien signe également des traités d’amitié avec l’Angleterre en 1760, la Suède en 1763 et en 1765 avec Venise. Le souverain alaouite s’ouvre également à la France en lui permettant de rétablir ses consulats avec la possibilité de prendre à leur service des indigènes. La diplomatie de Mohammed III est également agressive puisque le sultan parvient, après près de deux siècles d’occupation, à reprendre Mazagan (actuelle El Jadida) aux Portugais. Cette politique de reconquista connaîtra néanmoins un échec puisque le sultan ne reprendra ni Sebta ni Melilia, malgré le siège de cette dernière en 1771.

Pour accompagner sa politique d’ouverture, le souverain a favorisé, contre le port de Salé, les ports de Safi puis d’Agadir. Il édifie ensuite Mogador (future Essaouira) et en fait le grand marché du Maroc afin d’attirer le plus possible de commerçants étrangers. Pour favoriser le négoce, il allège également les impôts et met en place une monnaie de bon aloi. Mais le principal fait d’armes de Mohammed III est le droit qu’il octroie, en 1777, aux bateaux américains de se ravitailler dans les ports du royaume. Une autorisation qui est en fait une reconnaissance du nouvel État américain, qui sera scellée neuf ans plus tard par un traité d’amitié et de paix rédigé par Thomas Jefferson. Ce traité, ratifié par le Congrès et entré en vigueur le 18 juillet 1787, est considéré comme le plus ancien de ceux conclus par les États-Unis avec des États étrangers. Dix ans plus tard, James Simpson arrivera à Tanger pour ouvrir la plus vieille représentation diplomatique américaine dans le monde.

Wahhabites, nous avons failli l’être

Après l’éphémère règne de Moulay Yazid, qui ne dure que deux ans (1790-1792), Moulay Slimane, un des fils de Mohammed III, accède au pouvoir. Ses trente ans de règne (1792-1822) seront mouvementés. Très pieux, mais ne supportant pas l’influence grandissante des zaouïas, Moulay Slimane tente en 1811 une périlleuse révolution religieuse. Il veut imposer le rite wahhabite à une population imprégnée par l’islam des confréries. “Moulay Slimane entretient, par le biais des pèlerins “officiels”, des relations intenses avec les familles
wahhabites et saoudiennes, maîtresses de La Mecque
”, écrit à ce propos l’historien Simon Pierre. En 1815, Moulay Slimane va encore plus loin et décide d’interdire les moussems qu’il juge impies : “Ô Croyants, je vous en adjure par Dieu, le Prophète a-t-il consacré un moussem à son oncle, le premier des martyrs? Le premier chef de notre communauté, Abou Bakr, a-t-il consacré un moussem au Prophète? Un seul de ceux qui ont suivi le Prophète a-t-il songé à le faire?” Moulay Slimane fustige également le culte des mausolées : “Je vous en adjure encore une fois, par Dieu, décorait-on, du temps du Prophète, les mosquées? Ornait-on les tombeaux de ses compagnons ou ceux de la génération qui les a suivis? […] La voie droite est le Coran et la tradition du Prophète. La voie droite n’implique pas de nombreuses bannières, des réunions nocturnes où se coudoient femmes et enfants, la déformation des règles du droit divin par les innovations et les nouveautés, la danse rythmée par les battements de mains ainsi que d’autres pratiques, toutes entachées de vice et de bassesse”.

Parallèlement au virage wahhabite qu’il souhaite imposer à l’islam traditionnel marocain, Moulay Slimane a maille à partir avec les nombreuses révoltes tribales qui font vaciller son trône. Plusieurs insurrections éclatent, dont celle de la tribu des Aït Sidi Ali et de leur chef, Abou Bakr Amhaouch. En 1818, Moulay Slimane est même battu et capturé par les Aït Sidi Ali dans le Moyen-Atlas. Ce qui n’empêche pas les fidèles d’Amhaouch de le traiter avec respect en tant que descendant du Prophète. Connu comme l’“affaire de Zayane”, cet évènement provoque un séisme politique et plonge le pays dans l’anarchie, précipitant ainsi la fin de règne du sultan Moulay Slimane.

Mort d’un sultan, déjà secret d’État

Quand Hassan 1er accède au pouvoir en 1873, à 37 ans, l’autorité du Makhzen est, depuis plusieurs décennies, mise à mal par les pressions occidentales et les visées que les puissances coloniales ont sur le royaume. Soucieux de préserver l’indépendance de son pays, le sultan s’engage dans un difficile exercice d’équilibrisme. Il s’évertue à payer toutes les indemnités réclamées par les Européens suite aux guerres successives perdues contre eux lors des décennies précédentes, tout en essayant de préserver les finances du Makhzen. Il s’attelle à neutraliser les ambitions des différentes puissances en les opposant les unes aux autres, et n’hésite pas à mener de périlleuses expéditions, parfois jusqu’au Sahara, “pour affirmer la constance des droits chérifiens sur le Grand Maroc”, explique l’historien Jean-Louis Miège.

Au bout de vingt ans de règne, Hassan 1er est sur le point de remporter son pari lorsqu’il meurt subitement au début du mois de juin 1894. Dirigeant une énième expédition, destinée à mater une révolte dans le Tadla, le sultan, qui était d’une santé chancelante, finit par succomber aux rudes conditions de la campagne militaire. Pire, la mahalla (expédition militaire) se trouvait en plein territoire ennemi lorsque le sultan meurt. Pour ne pas démoraliser les troupes, Ba Hmad, chambellan de Hassan 1er, décide de garder le secret et interdit à quiconque d’entrer dans la tente sultanienne. Seuls les esclaves du roi et lui ont le droit d’y pénétrer. De peur que le subterfuge ne soit découvert par les tribus hostiles, Ba Hmad prend la décision (pas très islamique) de ne pas enterrer le corps dans les heures suivant le décès et lève le camp en direction de Rabat. Il faudra attendre six longues journées avant que le cortège n’arrive à destination. Une fois à l’intérieur des murailles de Rabat, le sultan peut finalement mourir officiellement, un 6 juin, au grand soulagement du chambellan Ba Hmad.

Entre tradition et modernité

Moulay Abdelaziz a 16 ans lorsqu’il accède au trône chérifien en 1894, au détriment de son frère Moulay Mhammed. Tout comme nombre de ses prédécesseurs, le jeune roi doit faire face à une situation difficile. Le royaume chérifien est criblé de dettes, le système d’impôt est archaïque et le pays est coupé en deux entre “bled Makhzen”, soumis à l’autorité du sultan, et “bled siba”, territoire de dissidence. À l’international, le pays attise l’intérêt des puissances impériales comme la France, l’Espagne, l’Angleterre ou encore l’Allemagne qui vient de se joindre à la course aux colonies.

Saigné à blanc par les dettes accumulées auprès des banques européennes, Moulay Abdelaziz, qui vit une partie de son règne dans l’ombre de ses deux Grands vizirs (Ba Hmad et Lhaj Mokhtar), tente pourtant de remettre le navire marocain à flot en ordonnant une réforme générale de la fiscalité inspirée des standards occidentaux. Appelée Tartib, cette taxe s’imposait à tout le monde sans distinction. Le sultan espère que cette réforme permettra de remplir les caisses de l’État, éviter l’endettement, et mettre fin au sentiment d’injustice qui règne au sein de la population.

C’était sans compter sur l’intervention simultanée des oulémas des chefs de tribu et des caïds, qui refusent de payer cet impôt. Selon eux, cette contribution aux finances de l’État ne figure pas dans l’islam. Ils n’y voyaient qu’une réforme mettant fin à leur prédation économique. Le Maroc continue donc de s’enliser dans la crise, et, en 1905, Moulay Abdelaziz demande la convocation d’une conférence internationale sur le Maroc. Celle-ci se tient un an plus tard, à Algésiras, en Espagne. La conférence entérine le partage du Maroc entre celle-ci et la France. Cette dernière se voit même adjuger le pouvoir de police, ce qui permet au Maréchal Lyautey d’occuper Oujda en 1907 et à 6000 soldats français de débarquer à Casablanca en 1908.

Frères ennemis

L’entrée des Français au Maroc avait été facilitée par une guerre fratricide. Qualifié par ses détracteurs de “sultan des Européens”, Moulay Abdelaziz a du mal à maintenir son autorité intacte. Le 16 août 1907, son frère aîné, le très pieux Moulay Hafid, est proclamé sultan à Marrakech grâce à l’appui des grands caïds, dont Madani El Glaoui, grand frère de Thami, le futur pacha de Marrakech. Le 4 janvier 1908, c’est au tour de Fès de se révolter contre Moulay Abdelaziz et de se rallier à Moulay Hafid. Mais le sultan refuse d’abdiquer et rejoint Rabat, alors sous contrôle européen. Ses adversaires le raillent et le traitent de sultan des “enclaves européennes posées sur le littoral”. Mais Moulay Abdelaziz, tenace, continue à résister et réussit à réunir une mahalla pour combattre l’armée de son frère, autoproclamé sultan du Jihad.

Par une après-midi suffocante, un 19 août 1908, les deux armées se rencontrent à Tamelelt, une petite localité proche de Kelâat Sraghna. La bataille ne dure pas plus d’une journée et Moulay Abdelaziz est battu à plate couture par son frère. Cette dernière défaite militaire devait sonner le glas du règne du jeune sultan. D’ailleurs, toute l’élite marocaine ainsi que les Européens présents au Maroc prennent acte de l’issue de la bataille. Mais, contre toute attente, Moulay Abdelaziz ne s’avoue pas vaincu. Le lendemain de sa défaite, il est à Casablanca et s’apprête, dans une dernière tentative désespérée, de rejoindre Settat pour rassembler une nouvelle armée. Alfred G. Paul Martin, un officier-interprète français de l’armée d’Afrique, écrit à ce sujet : “Il (Abdelaziz) n’avait plus rien, il sollicita tout: de l’argent, des armes, des hommes”. Une dernière tentative couronnée d’échec. Le sultan défait se réfugie finalement à Tanger où il finira sa vie. Ironie de l’histoire, son frère Moulay Hafid mourra, lui, en France où il a vécu en exil après 1912.

Le choix du plus faible

En 1927, celui qui sera plus tard Mohammed V est loin de se douter qu’il accédera au trône alaouite. D’autant que Sidi Mohammed a deux frères aînés, Moulay Driss et Moulay Hassan. Mais c’est lui que les autorités françaises désignent lorsque son père, Moulay Youssef, meurt en 1927. Paris voit en lui un prince malléable, estimant qu’il n’a aucune velléité nationaliste. Pourtant, à partir de 1937, le sultan affiche son soutien aux leaders de l’Istiqlal et du mouvement de la Choura.

Toutefois, le nationalisme sera mis sous le boisseau lorsqu’éclate la Seconde guerre mondiale. Durant cette période, le sultan soutient la population juive du Maroc, bloquant un bon nombre de mesures antisémites que le régime de Vichy cherchait à imposer au royaume.

En 1947, Mohammed V, poussé par les nationalistes, réclame l’indépendance du Maroc lors d’un discours tenu à Tanger. En 1952, c’est devant l’ONU qu’il plaide pour la fin du Protectorat, donnant un écho international à la cause marocaine. Une revendication qui n’est pas du goût de la France qui, via son Résident général, Guillaume, dépose et exile le sultan en Corse en 1953. Sur l’Ile de Beauté, le souverain plonge dans la déprime, tandis que son héritier, Moulay El Hassan, qui fait également office de conseiller, secrétaire et traducteur de son père, continue les échanges avec les mouvements nationalistes. Par crainte d’éventuels contacts entre le souverain et les mouvements nationalistes, la France décide d’exiler Mohammed V à Madagascar en 1954. Loin de calmer la situation, l’exil du roi ne fait qu’accentuer le soutien des Marocains à leur sultan qui, rappelé par les Français, refoule le sol du royaume en 1955. Le 2 mars 1956, le Protectorat français prend fin. Mohammed V, parti en sultan déchu, monte sur le trône en roi victorieux.

Ba Hmad.

Calife à la place du calife

Lorsque Hassan 1er meurt en 1894, la cour s’attend à ce que Moulay M’hamed, son fils aîné, lui succède. Mais c’est sans compter sur les intrigues d’un personnage hors du commun : Ba Hmad. De son vrai nom, Ahmed Benmoussa, ce fils d’un Abid Al Boukhari (esclaves servant dans l’armée sultanienne) et d’une mère juive, était le chambellan (Hajib) du sultan. Il joue de son influence et de celle de l’épouse préférée du sultan défunt, la circassienne Lalla Rkia, pour que le fils de cette dernière, le jeune Moulay Abdelaziz, monte sur le trône. Celui-ci n’a alors que 16 ans. Une aubaine pour Ba Hmad, dont l’ambition est dévorante. Devenu Grand vizir et régent, il détient désormais le pouvoir réel. Moulay Abdelaziz devra attendre la mort de son tuteur pour exercer le pouvoir. Pour asseoir son emprise, Ba Hmad entame une véritable purge au sein des institutions du Makhzen. Il commence par éradiquer toute velléité d’opposition, à commencer par les fidèles de Hassan 1er et Moulay M’hamed. Le cas le plus emblématique est le supplice infligé par Ba Hmad aux frères Jamai. Ces derniers, membres éminents de l’aristocratie makhzénienne, appuyaient Moulay M’hamed. Le grand frère, Maâti Jamaï, ex-Grand vizir, est arrêté et mourra en prison dix ans plus tard. Son petit frère, Mohamed Sghir, ex-ministre de la Guerre, est lui aussi jeté en prison.
Il ne sera libéré qu’après 14 ans de captivité. Le chemin balisé, Ba Hmad régnera sans partage
jusqu’à sa mort en 1900.

Chronologie

1266: Le premier des Alaouites au Maroc, Hassan Addakhil, s’installe à Sijilmassa dans le Tafilalet.

1631 : Septième descendant de Hassan Addakhil, Moulay Ali Chérif est proclamé chef du Tafilalet pour contrer les influences des zaouïas de Dila et d’Illigh sur la région.

1666: Moulay Rachid conquiert Fès, qui était sous l’emprise des Dilaïtes. Une conquête qui lance la réunification du Maroc par les Alaouites.

1672: Moulay Ismaïl prend le pouvoir, succédant à son frère Moulay Rachid.

1727: Mort de Moulay Ismaïl, marquant le début d’une période d’anarchie qui s’achèvera trente ans plus tard avec la montée au pouvoir de Mohammed III.

1822: Fin du règne de Moulay Slimane. Son successeur, Moulay Abderrahmane, entame une politique isolationniste à l’échelle internationale tout en poursuivant le rapprochement diplomatique avec les États-Unis entamé par son père.

1860: Signature du traité de Wad-Ras, marquant la fin de la Guerre d’Afrique qui a opposé le Maroc à l’Espagne. L’Empire chérifien doit accepter l’occupation de Tétouan et céder Sidi Ifni.

1880: Conférence de Madrid durant laquelle la “question marocaine” devient l’enjeu numéro 1 des puissances européennes.

1906: Conférence d’Algésiras à l’issue de laquelle la France et l’Espagne obtiennent des droits particuliers sur les affaires marocaines. Les deux pays se voient notamment confier la gestion de la police des ports.

1908: Moulay Abdelaziz abandonne le trône après avoir été vaincu par son frère Moulay Hafid à Tamelelt.

1912: Signature du traité de Fès qui marque le début du Protectorat. Moulay Youssef succède à Moulay Hafid.

1927: À la mort de Moulay Youssef, les autorités françaises désignent son fils cadet, Sidi Mohammed, futur MohammedV, comme sultan.

1956: Fin du Protectorat, le Maroc est indépendant. Mohammed V prend le titre de roi du Maroc.

1961: Mort de Mohammed V, Hassan II lui succède.

1999: Décès de Hassan II, Mohammed VI monte sur le trône.

Bibliographie

Histoire du Maroc, 2009. Michel Abitbol.

Histoire des Alaouites (1268-1971), 1994. Jacques Benoist-Méchin.

Maalamat Al Maghrib et Histoire du Maroc, 1967. Brahim Boutaleb.

Histoire du règne de Moulay Ismaïl, 2002. Dominique Busnot.

Histoire du Maroc, 1992. Bernard Lugan.

Histoire du Maroc : Réactualisation et synthèse, 2011. Mohammed Kably.

L’histoire du Maghreb, 1970. Abdellah Laroui

Kitâb al-Istiqsa li-Akhbar Al-Maghrib duwwal al-Aqsa, 1980. Ahmad ibn Khalid Al Naciri.

Histoire du Maroc : De Moulay Idriss à Mohammed VI, 2012. Daniel Rivet.

Dans l’intimité du sultan du Maroc, 2009. Gabriel Veyre.

Le Maroc disparu, 2011. Walter Harris.

Les origines sociales et culturelles du nationalisme marocain, 1977. Abdellah Laroui.

Histoire de l’Afrique du Nord, 1994. Charles-André Julien

Histoire du Maroc des origines à l’établissement du Protectorat français, 1949. Henri Terrasse.

Mohammed V, Hassan II, tels que je les ai connus, 2003. Henri Dubois-Roquebert.

Source:http://telquel.ma/2016/11/11/lhistoire-alaouites-long-fleuve-pas-tranquille_1522870?utm_source=Newsletter_Datarget&utm_medium=email&utm_campaign

Les Berbères

A la différence des calendriers grégoriens et islamiques, celui des Amazighs ne coïncide avec aucun événement religieux, mais avec un événement historique remarquable, celui de la bataille des Amazighs contre les anciens Égyptiens. Cette date marque l’investiture d’un roi Amazigh Chichong sur le trône pharaonique, après avoir écrasé le roi Ramsès III et ses troupes.

                      Car la préhistoire des peuples berbères à l’ouest de la vallée du Nil se recoupe avec une grande partie de l’histoire de l’Égypte ancienne. Dans les textes égyptiens, ces peuples apparaissent sous les noms de Libou, Tehenou, Temehou.

                       Un chef libou (libyen) monta sur le trône d’Égypte en tant que Chichong 1er fondant la XXIIe dynastie Égyptienne. A partir de ce moment historique, il est donc possible de dire que les Berbères entrent dans l’histoire. Selon l’historien Bernard Lugan, « la génétique montre que l’ancienne Égypte était en partie, et même largement Berbère ».

                      Cependant, d’autres auteurs ont évoqué l’origine nordique des Berbères… Pour Thomas Shaw, les berbères blonds descendaient des Vandales de Genséric retirés dans les montagnes après qu’ils eurent été défaits par Bélisaire. Un siècle plus tard, un autre texte fondateur de l’origine nordique des Berbères fut l’article de Laurent-Charles Féraud, intitulé « Monuments dits celtiques dans la province de Constantine » et publié en 1863 où il suggérait que les Berbères blonds descendaient des Gaulois mercenaires de Rome, à cause de la présence des dolmens en Algérie. Par la suite, le docteur Lucien Bertholon, qui consacra sa vie à l’anthropologie berbère, même s’il n’en continuait pas moins à affirmer l’origine nordique des Berbères, en fit les descendants des peuples égéens.

                      Les théories de l’origine nordique de Berbères furent reprises, dans la première moitié du XXe siècle, par certains auteurs allemands. Ainsi Hans Günther, raciologue du Troisième Reich, ou encore Alfred Rosenberg, théoricien du nazisme, considéraient les Berbères comme descendants des peuples aryens atlanto-nordiques.

                         Quoiqu’il en soit, ces populations ont subi une arabisation radicale qui a profondément transformé leurs us et coutumes depuis la conquête islamique au VIIe siècle et ce jusqu’au XXe siècle.

Principaux groupes ethniques berbérophones

  • Maroc :
    • Les Rifains, au Nord du Maroc sur une chaîne montagneuse appelée le Rif – langue parlée le Tarifit.
    • Les Berbères du Maroc central se situent dans le Moyen Atlas – langue parlée le Tamazight.
    • Les Chleuhs se trouvent dans le Sud-Ouest du Haut Atlas et dans la région au sud de Taroudant – langue parlée le Tachelhit.

                  Au Maroc, on compte de 10 à 12 millions de berbérophones, soit environ 30 à 37 % de la population. Les mouvements d’exode rural du XXe siècle ont fait que beaucoup de berbérophones, ont abandonné leurs montagnes et se sont également établis dans les grandes villes.

Medghassen, l’un des plus anciens monument en forme de pyramides datant de plusieurs siecles avant l’apparition des pyramides Egyptiennes.

Les khettaras : Système d’acheminement de l’eau

On nomme « khettara » l’ensemble du dispositif de mobilisation des eaux souterraines.

De la  galerie d’irrigation au puits permettant de drainer l’eau de la nappe phréatique, et ainsi, de l’acheminer jusqu’au bassin de récupération ou directement aux canaux d’irrigation à ciel ouvert appelés seguias. Cette technique aurait vu le jour en Perse  il y a plus de 3000 ans et introduite au Maroc au cours du VIIe siècle lors de la conquête du Maghreb par les arabes. 

La khettara est constituée de deux parties 

– La partie souterraine, légèrement inclinée, est celle qui draine l’eau par gravité de la montagne vers l’oasis. – La partie conductrice, les seguias, déploient l’eau au sein de l’oasis. Tout le long, à intervalles réguliers, des puits ont été creusés afin d’évacuer la terre au fur et mesure de l’avancée de la galerie. Ils restent précieux permettant plus facilement l’entretien des galeries souterraines. Cette eau sert essentiellement à l’agriculture, source de vie indispensable aux champs des oasis. La gestion des eaux distribuées par une khettara obéit à des normes traditionnelles de répartition appelées droit d’eau. A l’origine, le volume de l’eau octroyé par usager était proportionnel aux travaux fournis lors de l’édification de la khettara et traduit en un temps d’irrigation durant lequel le bénéficiaire dispose de l’ensemble du débit de la khettara pour ses champs. Encore aujourd’hui, lorsque la khettara n’est pas tarie, cette règle du droit d’eau perdure et une part peut se vendre ou s’acheter. Car il faut aussi prendre en compte la superficie des champs à irriguer de chaque famille. 

Khettaras vers Erfoud 

La route qui relie Erfoud à Tinejdad est bordée d’une khettara sur quelques kms. 

On aperçoit d’étranges et imposants monticules de terre séchée, souvent surmontés d’une poulie en bois. A leurs pieds, à l’ombre des tentes berbères, des hommes attendent les voyageurs en sirotant un thé à la menthe. On y explique le fonctionnement d’une khettara. Et surtout un escalier à été creusé afin de descendre au sein de la galerie souterraine, celle-ci étant à sec peut se visiter. 

ÉCOLOGIE ET COP22 – C’est une technique traditionnelle d’approvisionnement en eau qui risque de disparaître à cause de la désertification. Les khettaras, système d’irrigation ancestral au Maroc, étaient au cœur d’un débat organisé jeudi 10 novembre à l’espace « Société civile » de la COP22. Les participants à cette rencontre organisée par la fondation Miftah Essaad pour le capital immatériel du Maroc ont ainsi lancé un plaidoyer pour sauvegarder ce système écologique qui transporte l’eau à travers des galeries souterraines artificielles. « Cette rencontre a été l’occasion de mettre en avant l’efficacité des khettaras en tant que moyen écologique de canalisation souterrain permettant l’irrigation dans les zones arides et semi-arides au Maroc », rapporte le comité d’organisation de la COP22 dans un communiqué. « Les intervenants à cet évènement ont passé en revue les dimensions écologiques et patrimoniales des khettaras, notamment en termes de préservation des oasis contre la désertification et de valorisation des ressources hydriques à travers la diminution de l’évaporation et la préservation de la nappe phréatique », poursuit le communiqué. 

Vers une inscription au patrimoine de l’Unesco? 

Selon Abdelati Lahlou, membre de l’association Meftah Essaad, « les khettaras sont une manifestation de l’adaptation de l’homme à la nature ». Ce dernier a ainsi plaidé pour l’inscription de ces systèmes d’irrigation dans le patrimoine de l’humanité de l’Unesco afin de les pérenniser et de pouvoir récolter les fonds nécessaires pour les réhabiliter. « La COP22 constitue une occasion idéale pour faire connaitre le patrimoine écologique marocain et sensibiliser le public quant à l’importance de la valorisation des khettaras », a-t-il ajouté. A l’occasion de cette conférence, la fondation a présenté les résultats d’une étude menée en 2014 et selon laquelle les khettaras, en tant qu’ouvrage technique hydraulique et écologique, « contribuent à la lutte contre la désertification et font barrage à l’exode rural », note le communiqué. La disparition des khettaras risque ainsi d’entraîner l’épuisement de la nappe phréatique à cause du recours au pompage excessif des puits d’eau individuels, qui a des effets néfastes sur les réserves en eau. 

http://www.huffpostmaghreb.com/2016/11/11/cop22-plaidoyer-sauver-khettaras-maroc-systeme-ancestral-irrigation_n_12910614.html

Quand les sucreries de Taroudant façonnaient les rapports de force dans le monde

Rares sont ceux qui savent que le sucre, un produit désormais ancré dans les mœurs, fit un temps la gloire du Maroc qui, à partir des sucreries de Taroudant entre autres, influait sur l’équilibre des forces dans le monde.

         Dans son opus « Nozhat El Hadi », l’historien marocain El Ifrani décrivait en son temps qu’au XVIème siècle les rois Sâadiens* faisaient venir, pour la construction des palais de Marrakech et des sépultures de leurs sultans, le marbre de la région de Carrare en Italie qu’ils payaient en sucre, poids pour poids.

         Ce témoignage, quoique révélateur d’une propension au luxe dispendieux, ne fait que confirmer que le Maroc fut un pays du sucre, avant de devoir en importer, en 2012, près de 75 % de ses besoins, sachant que les Marocains consomment, en moyenne annuelle, 35 kg par habitant contre 20 kg à l’échelle mondiale.

        D’aucuns soutiennent que cette plante, ayant vu le jour dans le sous-continent indien à la faveur des moussons, a été introduite en Perse au VIème siècle pour gagner le Proche-Orient et l’Egypte en particulier, avant de se propager à Chypre, la Crête, la Sicile, l’Espagne et le Maroc peu avant la fin du XIIIème siècle.

          Il fait observer que toutes ces plantations ou fabriques, à l’époque saâdienne, étaient entre les mains de l’Etat qui les faisait gérer par des sortes de concessionnaires en général européens ou israélites, précisant que le produit « qui devait représenter la qualité du sucre la plus haute réalisée à cette époque était exporté pour la grande part vers l’Italie, la France et surtout l’Angleterre ; la consommation intérieure du Maroc devant être très faible à cette époque, alors qu’aujourd’hui les Marocains en consomment beaucoup trop avec des risques élevés de diabète». Pour en assurer la production les Sâadiens ont mis en place d’énormes installations sucrières et élaboré des systèmes ingénieux de moulins, étuves et aqueducs d’une longueur pouvant aller jusqu’à 80 km.

Elle rappelle que ces fabriques disposaient d’installations de broyage, de chaufferie et de purgerie pour le blanchiment du sucre avant d’être recueilli dans des moules en cuivre de formes coniques, celles-là même qui caractérisent le pain de sucre toujours en vogue au Maroc. Elle indique aussi qu’une bonne partie du produit, dont la contribution aux recettes de l’Etat se situait aux alentours de 33 %, était acheminée par les caravanes en Afrique subsaharienne, mais surtout en Europe par bateaux, d’où les Sâadiens importaient les armes entres autres. Fort d’un important arsenal, les Sâadiens n’allaient d’ailleurs pas tarder à lancer le Jihad contre les Portugais pour les déloger d’Agadir en 1541. Si l’on en croit l’auteur espagnol Diego de Torres, ce ne serait pas seulement dans un but de guerre sainte que les Chorfa se seraient décidés à emporter la célèbre place (d’Agadir) mais d’une manière plus prosaïque pour obtenir un débouché maritime pour le commerce des sucres ».

C’est d’ailleurs à cette époque, marquée par la dérégulation des anciennes routes maritimes dans le sillage de la découverte du Nouveau monde, que la  production sucrière marocaine, rudement concurrencée par les produits des Antilles et du Brésil, allait battre de l’aile. Le sucre marocain ne faisant plus le poids dans le nœud des échanges commerciaux, un nouveau chapitre dans l’Histoire est ouvert. Dans l’entre-temps, les vestiges de la sucrerie de Tazemmourt continuent de lutter contre l’oubli derrière des murailles menaçant ruine jour après jour et à murmurer au vent les gloires d’un temps qui fut, celles d’un passé où les sucreries de Taroudant façonnaient l’équilibre des forces dans le monde.

* Les Saadiens ou Zaydanides sont une dynastie chérifienne ayant régné sur le Maroc entre 1554 et 16601.

Princes de Tagmadert à partir de 1509, ils gouvernent à partir de 1511 une principauté s’étendant sur le Souss, le Tafilalet et la vallée du Drâa.

Reconnaissant d’abord l’autorité centrale des Wattassides, les deux dynasties entrent en confrontation dès 15282 et, suite à une bataille à l’issue indécise, se voient confirmer leur autorité sur le Sud du Maroc par le Traité de Tadla. La paix retrouvée permet aux Saadiens de concentrer leurs efforts contre les possessions portugaises3 et de les en expulser par la suite, ce qui leur confère une plus grande popularité et les pousse à contester aux Wattassides leur trône.

Suite à la reprise du conflit interne, 19 ans plus tard3, les Saadiens finissent par chasser les Wattassides en 1554. Ils règnent par la suite sur l’ensemble du Maroc avant d’étendre leur empire jusqu’à Tombouctou et Gao à partir de la fin du XVIe siècle.

Affaiblis par des querelles dynastiques et des conflits armés entre différents prétendants dès le début du XVIIe siècle, les Saadiens perdent progressivement le contrôle du pays au profit de chefs locaux et des confréries religieuses ; ils perdent tout pouvoir politique à partir de 1659 alors que le Maroc sombre dans l’anarchie en l’absence de pouvoir central, et ce jusqu’en 1666 avec la montée en puissance des princes alaouites du Tafilalet, qui réunifient le Maroc.

Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Saadiens